L’ancien Hôtel de Ville de Dunkerque
Victor Letellier, ancien sous-inspecteur des postes, qui s’est lancé dans le journaliste à Dunkerque en fondant le journal L’Indépendant, nous a laissé une description de cet ancien hôtel-de-ville détruit en 1896.
Visitons donc cette maison de tous, appelée par tous pays du nom de Maison ou Hôtel-de-Ville, quelquefois Mairie, et parfois encore Municipalité, nom que je ne trouve pas récréatif par les souvenirs qu’il éveille, tout inoffensif qu’il est par lui-même.
Dunkerque, avant cet affreux désastre de 1558, qu’il est impossible d’oublier, possédait déjà une belle Maison-de-Ville ; en 1562, un nouvel et fort bel édifice fut construit dans le même emplacement, lequel fut la proie des flammes en 1643 ; puis fut reconstruit une troisième fois en 1644, sur un plan plus élégant que les précédents : les dessins que Faulconnier et certains auteurs nous ont laissés de ce monument rappellent beaucoup celui qui existe encore aujourd’hui à Gand. J’ignore en quelle circonstance disparut cet édifice, mais ce qui est hors de doute, c’est que celui qui sert aujourd’hui de Maison-de-Ville, ne rappelle en rien la figure du précédent, de construction toute espagnole, tandis que ce dernier est simplement ou doit avoir été la demeure de quelque grand personnage. J’ai vu quelque part qu’une maison située dans la Grande rue, et appartenant aux héritiers d’un certain Lambert de Briarde, originaire de Dunkerque, lequel mourut en 1557, président du conseil souverain de Malines, fut achetée par la ville pour y loger le gouverneur ; ne serait-ce pas ce même hôtel Briarde, augmenté de la petite colonnade sur la place d’Armes, qui serait devenu et continuerait d’être la Maison-de-Ville.
Comme construction, rien de particulier; c’est un grand et considérable bâtiment, se développant sur la rue de l’Eglise, la place d’Armes et le marché aux Volailles, et communiquant même, par des passages souterrains, à quelque ruelle ou ruellette, comme on dit ici, à une rue qui joint la rue Faulconnier au marché aux Volailles.
Indépendamment de la Mairie avec toutes ses dépendances, ce bâtiment renferme encore le Bureau de la Garde nationale, la Caisse d’épargne, la Bibliothèque, la Police, les Archives de la ville et la vieille Prison, qui, vacante aujourd’hui, va être appropriée à l’établissement du Mont de Piété. Sous cette dernière partie du bâtiment est de plus un caveau à moitié obscur, humide et sans air, qu’on appelle Morgue. Heureusement cet établissement ne sert que fort rarement, car il serait de nature à nuire au voisinage, que ses exhalaisons fétides, incommoderaient inévitablement.
Visitons donc cette partie de l’édifice affectée à ce que nous appelons la Maison-de-Ville. C’est ici l’entrée principale de l’hôtel ; une façade avec petit fronton, ornée de quatre colonnes toutes simples, fait encoignure sur la place d’Armes, à la jonction des rues de l’Eglise, du Quai, du Collège et du marché aux Volailles, huit marches conduisent à une grande salle d’entrée de douze mètres de long sur six mètres de large, éclairée sur la place d’Armes et le marché aux Volailles. De cette salle ou vestibule on communique aux diverses dépendances ou annexes : à gauche, au bureau d’état-major de la garde nationale, à la caisse d’épargne, et, par un escalier, à la bibliothèque située au premier étage. La porte qui suit conduit au cabinet du maire, et la troisième à la salle des mariages qui est celle aussi du conseil ou des assemblées municipales. En face de l’entrée deux portes donnent accès : la première au secrétariat, la deuxième au dépôt des archives.
Un buste en marbre, placé sur un très-simple piédestal, tient le milieu entre ces deux portes : c’est celui de Jean Bart, naguère sur la place de ce nom, devenue depuis place du Théâtre, du nom de cet édifice qui ne remonte pas à plus de six années. Cet ouvrage est du statuaire Lemot, et porte la date de l’année 1802. Le célèbre marin y est représenté un peu plus fort que nature ; il a la tête nue et les cheveux pendants à la Louis XIV ; on remarque une légère réparation au nez qui paraît avoir été endommagé par la gelée, lorsque ce buste ornait la place du Théâtre.
Au-dessus de ce buste sont appendues à la muraille les armes de la ville de Dunkerque, modelées en bois peint des diverses couleurs officielles…
En face du buste de Jean-Bart, auprès et à droite de la porte d’entrée est un buste de l’amiral Lhermite, et adossé au Marché aux Volailles; celui du général Guilleminot, célébrité si l’on veut.
Maintenant, en traversant la porte dernière, à gauche, nous aurons accès, par une petite antichambre, dans la fameuse salle du conseil et des mariages…
Ici, mon cher ami, les choses se font plus convenablement, plus décemment, et, à part l’homme qui peut bien aussi parfois ne pas trop relever de sa personne la fonction élevée dont on l’a honoré, mais qui toujours du moins conserve le costume du magistrat, la salle a par elle-même quelque chose de noble qui impose, une décoration qui flatte agréablement l’œil ; jugez-en vous-même ; je veux vous y introduire, comme moi vous serez frappé de la différence notable qui existe entre le lieu des conjungo dunkerquois et ceux de notre Paris. En vérité, le premier me semble fait pour prédisposer en faveur du lien qui se présente couleur de rose, tandis que les autres ne paraissent présenter que tristesse ou misère.
Une grande et belle salle, qui encore, notez le fait, ne sert pas, comme ailleurs, de passage à quelque bureau de garde nationale, de recensement ou de révision, vous étonne et vous impressionne au premier abord par le nombre et l’importance présumée des objets qui la garnissent. Au fond, une cheminée est surmontée d’une niche, aujourd’hui garnie d’un bronze-pendule, naguère sans doute de quelque buste royal, et en avant une longue table couverte d’un fort beau tapis vert à franges. De beaux et bons fauteuils environnent cette table, où l’on comprend que viennent de temps à autres se discuter de hautes affaires, se traiter de graves intérêts; hélas ! Il faut bien le dire, très-petitement parfois ! Vous comprenez aussi que les jours à conjungo les mêmes sièges ont un autre public.
A droite de la cheminée sont élevés sur leurs socles deux plâtres ; le premier, assez bizarre, représente Jean-Bart, peu ressemblant et coiffé d’une façon de toque espagnole fort laide ; on y lit cette inscription: JEAN-BART, chef d’escadre, né à Dunkerque en 1650, mort en 1702. Son pendant tout auprès est JACQUES COLAERT, amiral, né à Dunkerque en 1583, mort en 1637.
Entre ces deux plâtres, et au-dessus, est une belle ceinture encadrée du même Jean-Bart n’en représentant que le buste.
A gauche de la cheminée figurent deux autres plâtres ; l’un de MICHEL JACOBSEN, amiral-général, né à Dunkerque en 1598, mort en 1663 ; l’autre de MATHIEU ROMBOUT, vice-amiral, né à Dunkerque en 1586, tué dans un combat le 4 Juin 1641.
Une peinture appendue au-dessus de ces deux plâtres, représente FRANÇOIS-CORNIL BART, vice-amiral de France, né à Dunkerque, (je rétablis la date: le 16 Juin 1677), décédé le 22 Avril 1755, âgé de 78 ans. C’était le fils du grand Jean-Bart.
A gauche de la porte d’entrée, on remarque un fort beau buste en marbre de Louis XIV, plus fort que nature, mais ainsi, ce me semble, que devrait toujours être le marbre d’un roi dont la grandeur est tellement supérieure à tous. C’est l’œuvre du statuaire Elshoecht fils, qui, en 1822, l’a dédiée à la ville de Dunkerque.
Un autre buste de marbre fait face à celui-ci ; l’air du visage fait supposer JEAN-BART, tous deux ont les honneurs d’un fort beau piédestal, colonnes en marbre. Au-dessus de la porte est encore une peinture qui me semble, par le ton et le plaqué, appartenir à l’école espagnole, c’est un portrait d’homme, en pied, que je ne doute pas être le portrait de Michel Jacobsen. Une semblable peinture en face, représente une femme que je suppose être cette Marie de Luxembourg, que je vous ai fait connaître dans l’histoire de Dunkerque dont elle était dame seigneuresse.
Du même côté est un assez beau portrait à l’huile et en pied du général Guilleminot, en uniforme et affublé de mille décorations. Cette peinture assez intéressante est l’œuvre du général Clauzel.
J’ai oublié de vous mentionner pour ordre et comme souvenir, deux fort beaux drapeaux ornant la droite et la gauche de la cheminée qui rappellent sans doute quelque cérémonie nationale ou locale à laquelle auraient été conviés certains Calaisiens. L’un, à droite, porte en lettres d’or cette inscription : A Jean-Bart les marins de Calais ; l’autre, à gauche : A Jean-Bart les sapeurs-pompiers de Calais.
Ce n’est pas tout encore, voici trois grands tableaux au fond de la même salle et un quatrième en retour près de la porte d’entrée. Me faut-il vous les expliquer ? J’ai peur d’errer, n’importe! je ne serai sans doute pas très-loin de la vérité.
Celui du milieu qui n’a pas moins de 4 mètres de large sur 2 mètres 80 centimètres environ de haut, est un tableau allégorique. La France, sous les traits de Minerve, tient sa main gauche appuyée sur l’épaule d’une jeune femme qui paraît personnifier Dunkerque ; sur le devant, à gauche, l’Histoire assise, tient une plume et des tablettes, prête à écrire les hauts faits de la ville que déjà la Renommée va publier au son de la trompette, tandis qu’en bas deux amours indiquent les voyages des navigateurs dunkerquois, ayant l’un le doigt sur un globe terrestre, l’autre le regard fixé sur un compas ou boussole. A droite de ce tableau est le Jugement de Cambyse, à gauche une troupe de silènes.
Le tableau en retour représente un assez grand nombre de personnages de grandeur à peu près mi-nature. C’est une distribution de prix ou la remise d’un prix à Un jeune homme que l’on voit, respectueusement penché, recevoir des mains d’un notable personnage une médaille tenue par un ruban. A part le mérite du tableau, il paraît en avoir un très-intéressant pour cette ville, en ce qu’il figure tous portraits du temps, parmi lesquels celui de Faulconnier, l’historien de cette ville, lequel, en qualité de bailli, remet la médaille au jeune lauréat, qui se trouve être précisément un nommé Pieters, bisaïeul ou trisaïeul du peintre dunkerquois actuel de ce même nom.
Voilà, mon cher ami, une salle des mariages digne d’être visitée et mentionnée, et j’ai voulu vous faire participer à mes jouissances.
Pour procéder par ordre, maintenant, il conviendrait, pendant que nous sommes dans ce bâtiment, de nous transporter sans plus de formalités à la bibliothèque de la ville, logée au premier étage… on y arrive par l’escalier qui se trouve à gauche dans la grande salle d’entrée ; elle occupe une seule grande pièce qui originairement a dû en faire deux et même trois. Le nombre des volumes qui la composent est de 7,000 environ ; malheureusement les ouvrages anciens, ceux surtout qui ont trait à la ville, sont en fort petit nombre, c’est au moins ce qui résulte des réponses à moi faites par le sous-bibliothécaire, fort peu empressé d’en faire les honneurs et de qui l’on doit arracher les paroles une à une… Ici, de plus, c’est un tort d’appeler notre bibliothèque publique, car elle l’est si peu que c’est l’exception. Figurez-vous cet établissement ouvert trois fois seulement dans la semaine, le Lundi, le Mercredi et le Vendredi, et cela pendant deux heures du soir seulement ; l’almanach dit bien de six à neuf heures, c’est-à-dire trois heures, mais l’almanach ment ou l’employé profite d’une heure. Il est vrai qu’il semble assez pressé de se rendre la liberté, s’il en faut juger par ses allées et ses venues, ses longs bâillements, ses incessants regards portés sur la pendule…
Une année à Dunkerque, par L-Victor Letellier, 1850.
Plan de la ville de Gravelines vers 1860
Plan de la ville de Dunkerque en 1850