Les origines de la Flandre et de l’Artois par Jean Dhont
Les origines de la Flandre et de l’Artois
Auteur : Jean Dhont – fichier : epub
Extrait
L’origine des comtes et du comté de Flandre a été entourée par la postérité d’un réseau de légendes romanesques. Qui ne connaît l’histoire de Salvaert, prince de Dijon, qui, fuyant des ennemis impitoyables, parvint, avec sa femme Ermengarde, au pays de Bucq, près de Lille, pour y être massacré par le farouche géant Phinart ! Ermengarde donna le jour, disait-on, à Lyderic, qui, dédaignant l’amour de la fille du roi d’Angleterre, la jeune Gracienne, alla provoquer l’assassin de son père et le combattit près du Pont-de-Fin à Lille. Ayant vaincu le géant, Lyderic se vit concéder par le roi Dagobert les possessions de son adversaire et la charge de forestier du roi dans toute la Flandre. Il épousa ensuite — Gracienne, hélas, était bien oubliée ! — la princesse Rothilde, sœur du roi Dagobert, et la conduisit en son château d’Harelbeke. Telle est la belle légende des Forestiers, si populaire encore de nos jours. Elle raconte aussi que Lyderic eut pour successeur son fils Antoine, auquel succéda Bossaert, puis Elstore, enfin Lyderic II, contemporain de Charlemagne.
Avec Lyderic II, la légende tend à se rapprocher de l’histoire. Il est évident, en effet, que toute l’histoire des forestiers, de Lyderic Ier à Elstore, est une pure fiction, sans aucun contact avec la réalité. Le premier personnage historique de la lignée est celui que la légende nomme Lyderic II et qui est bel et bien le seul, l’unique Lyderic ayant-existé. II en est de même de ceux qu’on lui donne pour successeurs immédiats, Inghelram et Audacer. Ces trois personnages ont vécu, le fait est incontestable. Ils ne furent pas forestiers de Flandre, car une telle charge n’a jamais existé ! Ils ne furent pas davantage comtes de Flandre ; à leur époque il y avait bien un certain nombre de pagi dont l’ensemble englobait ce qui sera plus tard le comté de Flandre, mais il n’existait pas de commandement unique s’étendant à toute cette province. Ces différents personnages ont donc bien pu être et furent réellement comtes de l’un ou l’autre pagus situé dans ce qui deviendra la Flandre, mais ils n’ont pu être préposé à l’administration de toute la Flandre. Ils n’ont pas non plus été, comme le veut la légende, comtes d’Harelbeke, pour la bonne raison qu’il n’y avait pas de comté de ce nom.
En réalité, des trois personnages que la légende donne pour successeurs immédiats à Baudouin Ier, deux ont effectivement administré certains pagi de la région, tandis que le troisième — il s’agit d’Audacer — était le père de Baudouin, mais sans que l’on sache s’il a exercé le pouvoir dans l’un ou l’autre pagus de la Flandre.
On ne sait à peu près rien de Lyderic ; toutefois, un comte de ce nom mourut en 836 et on a des raisons de croire qu’il administrait un pagus situé dans les environs de Saint-Omer. Il pouvait donc être comte de Ternois. Une tradition, que l’on trouve mentionnée dès le milieu du XIe siècle, veut que celui-ci — ou un comte homonyme — ait été enterré dans l’église d’Harelbeke. C’est là le point de départ de la légende des forestiers.
Quant à Inghelram ou Enguerrant, il est mieux connu : chambellan et favori du roi Charles le Chauve, il joue un rôle politique considérable. Il était comte à la fois des pagi de Courtraisis, Mélantois, Caribant, Ostrevant et Pevèle.
Autant qu’on puisse savoir, ces trois personnages, Lyderic, Inghelram et Audacer, n’étaient nullement apparentés l’un à l’autre. Au XIe siècle, des moines de Saint-Pierre de Gand, anxieux de découvrir des ancêtres au premier comte, Baudouin Bras de Fer, combinèrent entre eux les trois seigneurs qui, suivant les documents, avaient joué un rôle en Flandre antérieurement à Baudouin Ier, et les attribuèrent comme aïeux à ce dernier. Les chanoines d’Harelbeke, tout glorieux de cette filiation qui faisait du Lyderic dont ils possédaient la dépouille, l’ancêtre le plus reculé de la dynastie comtale régnante, brodèrent progressivement sur ce thème toute la légende dite des Forestiers.
Le premier membre connu de la dynastie comtale flamande est Audacer, père de Baudouin Ier. Encore ne sait-on rien de lui en dehors de son nom. Baudouin Ier, surnommé au XIe siècle ferreus — de fer — et depuis « Bras de Fer » est au contraire relativement bien connu. C’est en 862 qu’il sort de l’ombre. A ce moment, il n’était plus tout jeune, puisqu’il était déjà comte et qu’il avait une fille. Il est assez probable que sa dynastie était apparentée à la maison comtale de Laon.