Promenade à travers la Flandre maritime en 1891
Le texte que nous reproduisons a été prononcé le 22 février 1892 par Pierre Bernard (1859-1899), jeune professeur de médecine à l’Université catholique de Lille, lors d’une conférence faite au cercle saint Léonard.
Passionné par la photographie, Pierre Bernard réalisa de nombreuses prises de vue ethnographiques sur plaques de verre et sur gravures.
Durant l’été 1891, il parcoura la Flandre pour photographier « les églises, les châteaux, les monuments offrant un intérêt quelconque au point de vue de l’histoire du pays ».
Si ces photographies sont d’une grande richesse descriptive – de nombreux monuments ont en effet disparu ou ont été fortement endommagés – le texte de Pierre Bernard apporte aussi de précieux éclairages sur l’histoire de notre Flandre à la fin du 19e siècle.
Bonne lecture.
Mesdames, Messieurs.
Le titre de cette conférence pourrait vous laisser supposer que vous allez entendre un historien ou un artiste : je me hâte de vous détromper, car c’est seulement un modeste amateur de photographie qui se présente à vous pour vous montrer, ce soir, la lanterne magique ; que si, par hasard, il se risque à dire quelques mots d’histoire ou d’art, soyez bien convaincus qu’il les a tout récemment empruntés à des auteurs compétents[1].
Il est toujours peu charitable de se laisser trop longtemps prier par un ami qui demande un service : ce serait presque un crime de faire la sourde oreille quand cet ami vous sollicite pour une œuvre comme celle-ci et que lui-même s’y donne avec l’entier dévouement que tout le monde connait à l’organisateur des conférences de Saint-Léonard. Un peu à court d’orateurs pour les soirées hebdomadaires, il m’a demandé de venir boucher un trou et j’ai accepté, lui laissant toute la responsabilité de sa démarche. N’ayant en vue aucun sujet susceptible de vous intéresser, j’ai cru pouvoir, pour cette fois, rompre avec la tradition ; au lieu d’éclairer une description par des projections, comme c’est l’usage, je me suis décidé à vous soumettre un assez grand nombre de vues photographiques en indiquant, par quelques mots, le sujet qu’elles représentent souvent même en les soulignant d’un simple titre.
Déjà, avec d’éloquents voyageurs, vous avez visité des contrées lointaines et pittoresques ; vous avez parcouru l’Écosse et la Russie, gravi les sommets neigeux des Alpes et, pèlerins d’un autre âge, vous avez fait à pied le voyage de Terre-Sainte.
Ce soir, nous irons beaucoup moins loin. Forcé par les circonstances de borner mon ambition à l’exploration du département du Nord, je m’attache du moins à le connaître en détail. C’est ainsi que j’ai consacré une partie des dernières vacances à parcourir les arrondissements d’Hazebrouck et de Dunkerque, appareil photographique à la main, ou plutôt sur le dos, relevant rapidement au passage les églises, les châteaux, les monuments offrant un intérêt quelconque au point de vue de l’histoire du pays.
Il y a beaucoup à faire dans cette voie. Trop de nos anciens monuments ont disparu sans laisser de traces pour que, avec les moyens faciles mis à notre disposition par l’art de Daguerre, nous ne cherchions pas à conserver à nos descendants un souvenir exact du peu qui nous reste. Cette question a été récemment soulevée au sein de la Commission historique du Nord : puisse-t-elle ne pas rester à l’état de simple projet.
La littérature historique concernant la Flandre est des plus étendues. Il n’en est pas de même pour le sujet qui m’occupe : la description des monuments, leur reproduction par Je dessin surtout, sont très écourtées.
Nous ne possédons sur ce point que le grand ouvrage de Sanderus, Flandria illustrata, imprimé au milieu du XVIIe siècle; il contient de nombreuses planches, la plupart fort naïves d’exécution.
La Statistique archéologique du département, publiée il y a trente ans, n’est pas illustrée et de plus on ne peut guère se fier aux indications très concises el déjà anciennes qu’elle renferme. J’y ai relevé des erreurs et elle m’a occasionné plus d’une course inutile.
Le travail le plus complet et le plus consciencieux que j’ai eu la bonne fortune de pouvoir consulter, est un magnifique album, en quinze ou vingt volumes, formé peu à peu par le sympathique président du Comité flamand, M. Bonvarlet. J’y ai trouvé la reproduction exacte, au crayon, à la plume et au lavis, de tout ce que la Flandre maritime renferme de curieux en architecture et en objets d’art conservés dans les églises et dans les collections publiques ou privées. L’album en question est malheureusement manuscrit et reste à l’état d’exemplaire unique, entre les mains de son possesseur. Enfin, Mgr Dehaisnes, le plus compétent de nos compatriotes en matière d’histoire régionale, a bien voulu me communiquer des notes, encore inédites, sur Cassel et Esquelbecq. Je suis heureux de pouvoir témoigner publiquement à lui et à M. Bonvarlet, toute ma reconnaissance.
Le photographe qui se livre à un travail semblable â celui que j’ai entrepris, se heurte ù plusieurs difficultés. Permettez-moi de les résumer brièvement, ne serait-ce que pour excuser la médiocrité des vues que vous allez subir.
Lorsque I’on travaille sans sortir de chez soi, lorsque l’on se borne à reproduire les monuments d’une seule ville, celle que l’on habite, rien de plus simple que de choisir le jour et l’heure où le soleil fait le mieux ressortir les détails d’architecture.
En voyage, il n’en est plus de même. Il est impossible au touriste de s’astreindre à revenir à plusieurs reprises dans une même localité ou à y séjourner assez longtemps pour trouver réunies toutes les conditions nécessaires à l’obtention d’une épreuve irréprochable. Il doit se contenter de ce qu’il trouve au moment du déballage de l’appareil, opérer souvent à contre-jour, avec le soleil ou sans son aide, et s’estimer très heureux quand il ne doit pas abriter sa personne et son instrument sous un parapluie.
Second obstacle, auquel il n’est d’autre remède que de plier bagage pour revenir plus tard : les marchés et les kermesses. Infailliblement les boutiques volantes, les banques de saltimbanques, les manèges de chevaux de bois sont installés sur la place principale du bourg ou du village et masquent l’église et l’hôte! de ville que le touriste aurait désiré relever.
En Flandre surtout, où ces fêtes sont indéfiniment multipliées, avoir grand soin de consulter les almanachs locaux afin de s’assurer, avant de se mettre en route, que l’on ne part pas pour une expédition inutile.
Enfin la période de l’année pendant laquelle l’amateur se livre d’ordinaire à ses travaux, la période des vacances, constitue un troisième ennui. Il n’a pas encore ouvert son sac, pour en retirer la chambre noire, qu’il est immédiatement assailli par une nuée de marmots, gambadant, piaillant, se fourrant littéralement dans ses jambes qui lui font maudire la fermeture des écoles. Les commères du village arrivent à leur tour. les hommes se mettent de la partie car, il ne faut pas l’oublier, en matière de curiosité, il est bon nombre d’hommes qui sont femmes. Que faire ? Quand la disposition des lieux s’y prête, demander l’hospitalité dans la maison la mieux située et installer l’appareil à la fenêtre d’un étage dominant la foule ; sinon, grâce à la promesse d’une épreuve que l’on enverra plus tard, charger un ou deux assistants les plus raisonnables de faire la police de la place.
Les châteaux, les propriétés particulières, les intérieurs d’église, sont plus aisés à reproduire. Je n’ai jamais rencontré, auprès de MM. les curés et les propriétaires, que le plus gracieux accueil : toujours ils m’ont volontiers autorisé à braquer l’objectif sur leurs trésors.
J’aurais voulu, en même temps que les anciens monuments, vous présenter quelques tableaux des mœurs flamandes. Les jeux populaires surtout, dont plusieurs ont été vulgarisés par la peinture et la gravure, ont été parfaitement décrits par M. Desrousseaux. Tous ont une couleur locale bien tranchée. Qui n’a pas assisté à une promenade de géants d’osier, à un combat de coqs, à un concours de pinsons aveugles, à un tir à l’arc à la perche ou à une partie des nobles jeux de boules plates, de beigneau, de billon ou de longue-balle, peut se dire absolument ignorant des coutumes locales. Les documents que j’ai rassemblés sur ce sujet sont encore trop incomplets pour qu’ils vaillent la peine de vous être présentés ce soir.
Sans faire un cours d’histoire pour lequel je décline toute compétence, je me borne à rappeler que si la Flandre ne possède plus qu’un petit nombre de monuments anciens, souvent ignorés et épars sur son vaste territoire, c’est que successivement soumise à la domination des comtes de Flandre, à celle des maisons de Bourgogne, d’Autriche, d’Espagne et de France, elle a été le théâtre de guerres incessantes dont les revers étaient toujours suivis de scènes de sac et de pillage. Les gueux, les huguenots, et finalement les sans-culottes ont achevé l’œuvre de destruction.
Au point de vue physique, je ne vous apprendrai rien, je crois, en disant que cette province est singulièrement plate et n’offre aucun des sites pittoresques qui font l’admiration du voyageur dans les régions plus accidentées. Et cependant, qui le croirait ? — elle a inspiré des poètes. Les monticules qui vont par soubresauts de Watten au Mont-Trinité, en passant par Cassel, le mont des Cats et le Mont-Noir, n’ont-ils pas été pompeusement qualifiés, dans une ode latine du siècle dernier : Alpes Flandrorum ? Wormhout a aussi ses descriptions enthousiastes. Ecoutez plutôt : « l’Yser, qui passe à Wormhout, a des bords vraiment enchanteurs et, quand on traverse ce pays dans l’arrière-saison, on est surpris d’y voir encore la terre couverte de ses fleurs les plus belles. La route qui va de Cassel à Bergues semble tracée dans un paradis terrestre. »… On n’est pas plus lyrique.
La Flandre comprenait autrefois tout le territoire limité par le bas Escaut, la mer du Nord, l’Artois et le Brabant. Elle fut divisée en trois parties : la Flandre orientale et occidentale, qui font partie du royaume de Belgique et la Flandre française, acquise par Louis XIV à diverses époques. Dans cette dernière, on distinguait la Flandre wallonne et la Flandre maritime ou flamingante : celle-ci a donné naissance aux arrondissements d’Hazebrouck et de Dunkerque, que nous allons parcourir.
L’arrondissement d’Hazebrouck, formé des anciennes châtellenies de Cassel et de Bailleul, est limité au N. et N.-O. par l’arrondissement de Dunkerque; au S.-O. par le département du Pas-de-Calais; au S.-E. par l’arrondissement de Lille ; au N.-E. par la Belgique.
Les Romains, au temps de Jules-César, s’étaient fortement établis dans cette région dont l’antique Castellum, aujourd’hui Cassel, était le centre. On a retrouvé dans cette ville des traces de l’importante station militaire qu’ils y avaient fondée et des sondages soigneux ont fait découvrir les cinq voies stratégiques qu’ils avaient construites. On les appelle dans le pays « Steenstraete » (chemins de pierre).
Presque partout, dans l’arrondissement d’Hazebrouck, on parlait autrefois le flamand. Les choses ont un peu changé depuis que l’enseignement du français est obligatoire dans les écoles, mais il arrive souvent encore que des adultes illettrés ignorent notre langue. J’ai été plus d’une fois en rapport avec de grands gars de 25 ans qui avaient appris le peu qu’ils en savaient pendant leur service militaire. Les paysans âgés ne connaissent, pour la plupart, que leur langue maternelle et il est parfois difficile au promeneur égaré dans la campagne d’obtenir une indication sur la route à suivre.
La carte archéologique de l’arrondissement, publiée par la Commission historique, est criblée de signes conventionnels : les tours indiquent les châteaux, la plupart fortifiés ; les crosses, des abbayes et des monastères ; les croix de Malte, des commanderies de cet ordre. Presque tout cela a disparu sans laisser d’autres traces qu’un souvenir historique.
Pour rayonner plus facilement dans la région que j’explorais, j’avais fait de Cassel mon quartier général : il est donc juste que celle ville serve de point de départ à notre excursion.
Au milieu du XVIIe siècle, Cassel était une ville forte, beaucoup plus importante qu’aujourd’hui. Une ceinture de remparts l’enserrait et la terrasse qui domine la ville avait des fortifications spéciales. Les fortifications ont disparu et il ne reste actuellement que deux portes de l’enceinte générale, une de celle de la terrasse.
La vue d’ensemble que donne Sanderus, selon l’usage adopté par les artistes de l’époque où elle a été gravée, représente Cassel en perspective, à vol d’oiseau. Sur la terrasse, siège probable de l’ancien château (castellum), qui a valu son nom à la ville, s’élevaient alors la collégiale St-Pierre et l’église St-Nicolas; aujourd’hui, à part un moulin à vent, un cabaret et une maison particulière, elle ne porte plus de construction et a été transformée en promenade publique. Au centre s’élève un monolithe pyramidal en granit érigé par les soins d’un enfant du pays, le Dr De Smyttère. Chacune de ses faces relate, en inscriptions gravées dans la pierre, les hauts faits des Flamands. Dans l’une des pelouses, une trappe donne accès dans une petite crypte : c’est tout ce qui reste de la collégiale St-Pierre. Enfin, au milieu des massifs du jardin public, des fouilles ont mis à nu quelques traces de substructions romaines.
Du sommet de la terrasse, la vue embrasse un panorama étendu. C’est le rendez-vous des paisibles promeneurs que leurs occupations ou leur bourse privent du plaisir d’aller au loin en contempler de plus grandioses. Le traité classique de géographie de l’abbé Drioux, qui a bercé notre enfance, enseigne que de Cassel on découvre 32 villes fortes et la mer… La mer, avec un peu de bonne volonté, d’excellents yeux et par un temps très clair, c’est possible ; les 32 villes fortes, j’en doute, et pour cause.
Sur la grand’place de Cassel sont rassemblés les monuments les plus intéressants, que nous allons examiner successivement : le bailliage, l’église Notre-Dame et la mairie.
Le bailliage ou hôtel de la noble-cour, en flamand « Landshuys » (pl. I), était le siège de la juridiction de la châtellenie de Cassel et des états de la Flandre maritime. — C’est une construction originale et élégante du commencement du XVIIe siècle. Récemment restaurée, elle a perdu toute importance administrative — pardon, on lui a laissé le siège de la justice de paix. — En dehors de cette modeste attribution, le vénérable bâtiment loge les fidèles gardiens de la paix, sert de remise aux uniformes de cérémonie des pompiers, aux pièces démontées des reposoirs pour les processions et, j’allais l’oublier, aux tronçons qui, réunis bout à bout, constituent le célèbre Reuse-papa, le géant plus grand, disent ses concitoyens, que son homonyme de Dunkerque et que ses rivaux de Douai et de Lille. Un petit musée, dont le conservateur est mort, je crois, contient dans un pêle-mêle artistique peut-être, mais certainement peu scientifique, des antiquités romaines, des fossiles, des documents ethnographiques et des oiseaux empaillés dans les poses les plus invraisemblables.
La façade postérieure de l’édifice (pl. II). donne sur une rue tellement étroite qu’il est impossible d’en saisir l’ensemble. — Elle offre quelques détails curieux de sculpture dans le cintre de ses fenêtres.
L’église paroissiale de Cassel est l’ancienne collégiale Notre-Dame. On y retrouve des vestiges d’architecture romane, attestant son origine reculée : elle remonterait au XIIIe siècle. La tour (pl. III), déjà figurée par Sanderus, abrite un carillon qui provient de l’antique Thérouanne. Au risque de passer pour un profane, je ne crains pas d’affirmer que les carillons de Flandre, tout poétiques qu’ils soient comme celui-ci, deviennent bien vite une obsession lorsque, quarante-huit fois par jour ils serinent la même ritournelle.
La mairie (pl. IV), est installée dans une construction Renaissance. Elle présente de fins détails de sculpture, malheureusement recouverts d’un épais badigeon. Peu de monuments, du reste, ont échappé en Flandre à cette manie de la couleur : cela tient sans doute à l’amour proverbial des Flamands pour la propreté, mais, ne fait pas le compte des artistes.
L’administration municipale occupe seulement l’étage de ce bâtiment. Une partie du rez-de-chaussée est occupée par le poids public, le reste est loué à un cabaretier et à un marchand de charbons.
La façade postérieure de la mairie (pl. V), donne sur les hangars du marchand de charbons. Elle n’offre d’intéressant qu’un pignon à redents et une tourelle à toiture aiguë, noyée dans un angle.
Du couvent des Jésuites, occupé après eux et jusqu’à la Révolution par les Récollets, il ne reste que l’église. Bâtie en 1687, d’après la date inscrite au fronton, cette église est du style vulgairement connu sous le nom de l’ordre qui l’a mis en honneur (pl. VI) ; aujourd’hui, elle sert d’école.
A signaler encore deux façades intéressantes de la grand’place. L’une semble calquée sur le bailliage et doit être contemporaine (pl. VII) ; l’autre, moins chargée, est cependant curieuse et date de la même époque (pl. VIII).
Si je vous présente un moulin à vent, c’est que cet intéressant outil, rapporté d’Orient par les Croisés, est très commun en Flandre. Chassé par des moteurs plus modernes, il tend cependant de plus en plus à disparaître, mais, autrefois il couvrait littéralement le territoire ; peu de planches de Sanderus en figurent moins de deux ou trois. Les moulins avaient alors la conformation qu’ils ont encore aujourd’hui, ce qui m’autorise à les faire figurer dans une revue des monuments anciens. Je dois ajouter que, construits en bois, ils font pendant au célèbre couteau de Jeannot : après quelques années, renouvelés pièce à pièce, ils n’ont plus rien de leurs organes primitifs, tout en ayant gardé leur forme originelle.
Le moulin que vous avez sous les yeux (pl. IX) est appelé moulin de l’Étendard. La légende raconte qu’il servait de centre au camp des Français lors de l’une de leurs célèbres batailles contre les Flamands au XIV* siècle.
Avant de quitter Cassel, permettez au naturaliste une petite digression. Après vous avoir montré des monuments bâtis de la main de l’homme, il serait heureux de vous présenter un travailleur d’un autre genre. C’est un petit oiseau, la plus petite des nombreuses espèces d’hirondelles, — on l’appelle vulgairement hirondelle de rivage ; les savants, qui emploient le latin, la nomment cotyle riparia.
Au lieu de construire, comme l’hirondelle de fenêtre, avec un peu de terre gâchée, des nids élégants que tout le monde connaît pour les avoir vus accrochés aux façades des maisons, aux voûtes des écuries et des étables, elle dépose ses œufs sur un amas informe de brindilles de foin, de plumes et de duvet. Mais ce nid grossier, elle l’amasse au fond d’un terrier profond qu’elle creuse à l’aide de son bec et de ses pattes, le plus souvent sur les talus qui bordent les cours d’eau. Elle n’est pas architecte, mais très habile terrassière.
Ces petits oiseaux vivent en colonies. L’une d’elles s’est établie dans une carrière de sable du mont des Récollets, autrefois le mont des Vautours, où il ne reste rien du couvent des hôtes qui lui ont donné leur nom.
Les hirondelles ont creusé là une centaine de terriers, profonds d’environ un mètre et disposés sur des lignes assez régulièrement parallèles. Rien n’est plus curieux que de suivre les évolutions de la nuée d’oiseaux entrant et sortant sans cesse des trous creusés dans la muraille de sable. On dirait une ruche d’abeilles.
La découverte de cette colonie m’a semblé assez intéressante pour en faire part à une revue scientifique qui l’a notée. En effet, les colyles se fixent d’ordinaire au voisinage de l’eau, dans les falaises de la mer ou sur les rives des fleuves. Or, au mont des Récollets, elles sont à 30 kilomètres des côtes de la mer du Nord et à 15 ou 18 de la Lys et des fossés de Clairmarais. De plus, très sauvages de leur nature, on prétend qu’elles abandonnent à la moindre alerte le domicile de leur choix. Cependant, de nombreux ouvriers travaillent à la carrière du mont des Récollets, on y a même établi des voies ferrées pour le transport du sable au lieu de chargement et les hirondelles sont restées.
Ma première excursion hors de Cassel resta sans résultat, mais elle fut l’occasion d’une charmante promenade à travers la forêt de Nieppe, seul point de la Flandre, je crois, qu’ait épargné la hache, utilitaire peut-être, mais bien brutale, du défrichement. Trompé par des indications peu précises, je croyais y retrouver quelques traces du monumental château-fort de la Motte-au-Bois, dont Sanderus donne une vue perspective. Il n’en subsiste rien et une élégante maison d’habitation, des plus modernes, a remplacé le castel du XVIIe siècle.
Le même guide, peu explicite, m’avait laissé espérer retrouver sur la lisière de la forêt, à Morbecque, les vestiges du château également figuré par le grand historien flamand. Là encore, je me suis heurté à des constructions récentes sans grand caractère ; les anciennes ont été jetées bas à la Révolution.
Je me suis rabattu sur l’église (pl. X). En forme de croix latine, elle porte sur l’une de ses faces la date vénérable de 1253, mais a subi des remaniements à diverses époques. Une large tour carrée et basse, surmontée d’une flèche à cinq clochetons aigus, s’élève au transept. Quant au baptistère du XIIe siècle, signalé par la Statistique archéologique du département, ou bien il n‘a jamais existé ou bien il a disparu : en fait de baptistère, il n’y a aujourd’hui à Morbecque qu’un affreux meuble de bois, peint de façon à imiter grossièrement le marbre.
Hazebrouck, amœnum et populosum oppidum, dit Sanderus, n’était cependant, en 1789. qu’une commune d’importance secondaire au point de vue politique et entièrement subordonnée à Cassel. Les rôles sont aujourd’hui intervertis et, sans cesser d’être charmante, la ville a monté en dignité : elle est devenue chef-lieu d’arrondissement.
Les deux principaux monuments, l’église et l’hospice, sont encore tels que les figurait Sanderus. L’hôtel de ville, alors situé au centre de la grand’place, a disparu dans un incendie et a fait place, au commencement du siècle, à un bâtiment imposant mais dont le style, imité des constructions grecques, jure avec notre architecture nationale comme du reste, la plupart des monuments élevés sous le premier Empire.
De l’église, la partie la plus intéressante est la tour, placée au portail. Elle est surmontée d’une élégante flèche à jour, de 80 mètres de hauteur ; c’est la plus haute du département (pl. XI). Détruite il y a quelques années par un incendie, la flèche a été rebâtie sur les plans primitifs.
L’hospice actuel était, avant la Révolution, occupé par les moines de St-Augustin. Il en reste une façade remarquable du XVIIe siècle, construite en briques et pierres et percée de nombreuses fenêtres à meneaux entre lesquelles sont intercalées des niches, vides aujourd’hui de leurs statues (pl. XII). L’église du couvent n’a pas laissé de traces: on suppose qu’elle occupait l’emplacement actuel de la sous-préfecture.
Bailleul. — La Flandria illustrata contient une vue panoramique de la ville au XVIIe siècle. A l’arrière-plan se profile le mont des Cattes, couronné de nombreux moulins. Les principaux monuments : église St-Vaast, hôtel de ville, église des Jésuites, sont encore tels qu’ils étaient alors.
Bailleul existait probablement du temps des Romains, car on y a trouvé des médailles de cette époque. Au Xe siècle, elle fut fortifiée par Bauduin, comte de Flandre, et on y retrouve les traces des fossés qui l’entouraient.
L’hôtel de ville et le beffroi (pl. XIII), datent du XVIe siècle ; ils sont du style flamand de l’époque. L’étage inférieur du beffroi forme une salle voûtée, soutenue par un pilier roman, qui fait supposer une origine antérieure à celle du reste de l’édifice.
L’église Saint-Vaast (pl. XIII), est du XVIIe siècle. Elle a trois nefs et possède une tour carrée placée au transept. La flèche qui la surmontait il y a deux cents ans, a disparu. Cette tour, ainsi que d’autres de la région, est flanquée à l’un de ses angles d’une petite tourelle abritant l’escalier et qui nuit à l’aspect d’ensemble.
A trois kilomètres de Bailleul, l’église de Méteren (pl. XIV), nous offre immédiatement le même disgracieux appendice. De construction élégante, la tour paraît antérieure au reste de l’édifice.
Flêtre conserve, dans son église, de véritables trésors On y voit un ex-voto en albâtre, enchâssé dans le mur du chœur, côté de l’évangile, et que des dégradations commençantes ont forcé d’abriter sous des boiseries mobiles : le curé les fait obligeamment ouvrir aux visiteurs. Ce petit monument, élevé par la piété des sires de Wignacourt, est sorti du ciseau d’un grand maître. La gravure l’a déjà reproduit. Jésus-Christ y est représenté, crucifié entre les deux larrons ; au pied de la croix sont agenouillés divers membres de la famille donatrice.
Près du portail, dans l’angle destiné à la célébration des baptêmes, se trouve un autre objet d’art, un habitacle qui servait, dans l’ancienne liturgie, à renfermer la réserve des saintes-espèces. C’est un meuble élancé, peint et doré, de l’époque de la Renaissance. Construit en chêne, il est orné de nombreux bas-reliefs et de statuettes (pl. XV).
Les vitraux de Flêtre sont célèbres : ils viennent d’être habilement restaurés, à grands frais, par les soins de la Commission historique.
Plusieurs pierres tombales de grande valeur sont peut-être les mieux conservées de celles que possèdent encore les églises de la Flandre maritime. L’une d’elles a été érigée à la mémoire des membres de la famille de Wignacourt ; elle porte la date de 1545.
Les pierres tombales ! Par les noms et les dates qu’elles rappellent, il y a peu de monuments aussi importants pour la reconstitution de l’histoire d’un pays, et cependant, combien ont disparu ! On accuse avec raison les énergumènes de toute époque et spécialement les Révolutionnaires de 1793 de les avoir détruites : ils en ont brisé beaucoup, c’est vrai, mais l’ignorance et l’incurie de bon nombre de conseils de fabrique n’en ont-ils pas laissé perdre bien d’autres ? Je connais, pour ma part, telle paroisse du diocèse où plusieurs de ces monuments ont été brutalement livrés au marbrier pour être polis, découpés en petits losanges bien réguliers et servir à paver une nouvelle sacristie. Combien d’objets d’art ont eu un sort analogue ? Combien de fois un reliquaire, une statuette, un tableau d’une valeur inestimable, n’ont-ils pas été échangés au premier brocanteur juif, passant par la commune, contre un ostensoir en cuivre doré, garni de diamants en strass et de rubis en verre peint ou contre une chasuble de drap d’or, tout aussi flamboyante, mais tout aussi dépourvue de véritable valeur ? Ces errements du passé, malheureusement irréparables, ne seront bientôt plus à craindre s’il est vrai que des cours élémentaires d’archéologie sont ou vont être inaugurés dans les séminaires.
Les cloches sont le luxe des églises de Flandre : il n’est si pauvre village qui n’en possède de fort belles, lorsque même il n’a pas un carillon. — Le logement de ces joyeux instruments n’est pas toujours aussi luxueux. Les paroisses trop pauvres pour se payer une tour construisent au voisinage de l’église un bâtiment en bois que I’on nomme en flamand « klokhuys », littéralement « maison des cloches ». Le klokhuys de Flêtre (pl. XVI) est l’un des plus anciens : Sanderus le figurait déjà dans l’une de ses planches, mais je dois, à son sujet, faire la même observation que pour les moulins à vent.
A Lille aussi, nous possédons un klokhuys. Moins modestes que leurs compatriotes des campagnes flamandes, ses fondateurs l’ont construit en briques et en pierres. Peut-être y a-t-il lieu de craindre qu’élevé à titre provisoire, il ne soit, dans leur pensée destiné à nous faire longtemps attendre les tours définitives de la basilique N.-D. de la Treille.
De l’antique château-fort de Flêtre, situé au voisinage immédiat de l’église el habité en dernier lieu par la famille de Wignacourt, il ne subsiste actuellement que la tour principale (pl. XVII). Elle est enchâssée dans des bâtiments modernes mais n’a pas, pour sa part, subi de notables altérations : ses meurtrières ont été seulement élargies en honnêtes fenêtres.
Renescure est placée à l’extrême limite de la Flandre, en contact presque immédiat avec l’Artois. Une célèbre abbaye de femmes de l’ordre de saint Bernard, y fut fondée au XIIIe siècle. On la connaît sous lo nom d’abbaye de Wœstyne.
Le château de Renescure, fondé au commencement du XIIe siècle, a été fréquemment modifié dans le cours des âges. — En 1793, il était entouré de deux fossés concentriques et consistait surtout en une grosse tour ronde dont les murs mesuraient plus de deux mètres d’épaisseur. Ce donjon était relié, de chaque côté, à des courtines flanquées d’un bastion à leur extrémité. Deux tourelles surmontaient le donjon el permettaient de faire le guet pour surveiller l’approche de l’ennemi .
Aujourd’hui, les deux enceintes de fossés, les courtines et les bastions ont disparu. Il ne reste debout qu’une partie du corps principal de la demeure seigneuriale bourgeoisement surmontée d’un toit en ardoises. Deux bandes de lierre, grimpant de chaque côté de la porte d’entrée, masquent peut-être les cavités où venaient jadis s’enchâsser les montants de la herse du pont- levis. Des constructions modernes ont été adjointes aux restes du donjon (pl. XVIII).
Ce château a appartenu à différentes familles nobles. Après l’incendie qui le détruisit, à la Révolution, il fut acheté pour quelques assignats par un ancien serviteur qui, la tourmente passée, le rendit à ses légitimes propriétaires : exemple heureusement fréquent de fidélité et de dévouement.
Le petit château ou château de Zuthove remonte à 1572 suivant une date inscrite au-dessus de la porte d’entrée. C’était, sous l’ancien régime, le chef-lieu de la seigneurie de Zuthove. Il appartient actuellement à la famille de Berchem.
Il y a une dizaine d’années, ce petit castel, du reste très élégant, menaçait ruine ; on le répara d’une façon d’autant plus intelligente et soignée que son propriétaire avait alors décidé de l’habiter. Ses intentions ont dû changer, car après comme avant sa restauration, le petit château sert toujours de demeure à un fermier (pl. XIX).
Noordpeene possède une église à trois nefs, presque entièrement reconstruite au XVIIe siècle. Elle est surmontée d’une flèche élégante, hexagonale et à jour, rappelant le style de celle d’Hazebrouck (pl. XX). L’église renferme un baptistère célèbre des plus curieux, bien étudié, décrit et figuré : il remonte au XIIe siècle. C’est un monolithe de marbre noir, d’un mètre environ de côté et de quarante centimètres de hauteur. Il repose sur un dé en pierre tendre dont les angles ont été taillés en fût de colonne. Les quatre faces portent des sculptures allégoriques en méplat. L’antérieure représente deux enfants voguant dans une nacelle et deux dragons, dont l’un semble menacer la face du Christ.
Le château de Noordpeene, dit château de la Tour (pl. XXI), est moderne ; un massif de verdure le masque sur la planche ci-dessous. Au XVe siècle, dit Sanderus, c’était « castrum splendidum ac munitum » —Des fortifications, il ne reste plus que de larges fossés et, peut-être, la petite tourelle commandant le pont par lequel on accède aujourd’hui à l’habitation.
A Rubrouck, il n’y a de remarquable que la tour de l’église, bâtie à différentes époques. Une élégante balustrade sculptée couronne le sommet ; des colonnettes torses, rapprochées deux par deux, surmontent les quatre contreforts des angles (pl. XXII).
Terdeghem nous présente les restes d’un château qui appartenait, au XVe siècle, à la famille de Quienville. Aujourd’hui, bien déchu de son antique splendeur, le peu qui subsiste est transformé en ferme et un manège met en mouvement, dans les grandes salles occupées jadis par les hommes d’armes, de très prosaïques barattes au beurre. — Des sculptures et des armoiries sur la façade principale, des fossés qui entourent trois côtés du bâtiment, sont les seules traces de sa noble origine (pl. XXIII).
Steenvoorde.— Il y avait à Steenvoorde un château à tourelles et à créneaux, appartenant à la famille de la Viefville. Cette construction des plus élégantes a disparu pendant la Révolution sans laisser de traces.
L’église, bâtie au XVIe siècle, possède une tour carrée avec flèche élancée. Pleine autrefois, elle avait depuis longtemps disparu, quand elle fut remplacée dernièrement par une flèche à jour. Les habitants la disent plus haute que celle d’Hazebrouck, je n’ai point cherché à élucider le point en litige (pl. XXIV).
L’arrondissement de Dunkerque est limité au N. par la mer du Nord ; à l’E. par la Belgique ; au S. par l’arrondissement d’Hazebrouck ; à l’O. par l’Aa qui le sépare du département du Pas-de-Calais.
Avant son incorporation à la France, on y parlait exclusivement le flamand. Aujourd’hui, comme dans l’arrondissement d’Hazebrouck, le français est connu presque partout, mais le peuple n’emploie guère que sa langue maternelle.
Trois des routes romaines qui rayonnent autour de Cassel traversent l’arrondissement. Deux s’arrêtent brusquement avant d’atteindre la côte et les sondages les plus minutieux n’ont pas permis d’en trouver plus loin la continuation.
Aussi riche autrefois en châteaux et en abbayes que l’arrondissement d’Hazebrouck[2] il n’a conservé aussi qu’un petit nombre de monuments dont la révision va être rapide.
Wormhout. — Au VII* siècle, le seigneur Heremare fit abandon à saint Winoc de sa terre de Wormhout pour y fonder un monastère. Les Normands détruisirent de fond en comble le couvent, mais les reliques du saint que I’on y gardait pieusement, purent être soustraites à la profanation. Transférées d’abord à Sithiu, aujourd’hui Saint-Omer, elles sont maintenant vénérées à Bergues.
Du couvent, il ne reste plus de traces. — La seule curiosité architecturale de Wormhout est la tour de l’église, dans le même genre, mais moins élégante que celle de Rubrouck. — Elle date du XVIe et du XVIIe siècle (pl. XXV).
Esquelbecq, tel que la représente Sanderus, est la seule vue ancienne que rappelle encore à peu près exactement l’état actuel des lieux.
Le château, les jardins même et l’église n’ont pas subi de modifications bien sérieuses, de sorte que ce petit village, perdu dans les Flandres, nous reporte en pleine époque de la féodalité.
L’église (pl. XXVI) est une construction en briques à trois nefs et trois toitures, avec tour au transept pourvue d’un carillon. La monotonie de la façade est rompue par des briques de couleur qui forment des losanges ; il en est de même sur les murs de côté, on y lit la date de 1610. C’est probablement celle d’une restauration, car le monument parait plus ancien.
Cette église est dédiée à saint Folquin, évêque de l’antique Thérouanne, capitale des Morins : il mourut à Esquelbecq en 855.
A l’exception des toitures moins élevées et des fenêtres élargies et modernisées, le château (pl. XXVII) est encore tel qu’autrefois. Il est construit en briques, comme presque tous les édifices de la région et on y accède par un pont à trois arches qui a remplacé l’ancien pont-levis. — Une tourelle de chaque côté de la porte d’entrée et d’autres, plus fortes, aux quatre angles et à des distances inégales, sur chacune des faces, entourent le monument.
Du milieu des constructions s’élève le donjon, aujourd’hui dépouillé du couronnement que figure Sanderus.
La date de 1606 est inscrite sur le donjon.
Ce château fut successivement possédé par six familles nobles. Il appartient aujourd’hui à M. Bergerot, député du Nord, qui en a écrit magistralement l’histoire.
Zegerscappel n’est éloigné que de deux kilomètres d’Esquelbecq. Dans sa gracieuse église, les archéologues retrouvent des traces de construction remontant au Xe siècle ; la tour date du XIIe. Les fenêtres ogivales couronnées d’une riche guirlande sculptée, datent du XVIIe. Une petite porte latérale, aujourd’hui bouchée, passe pour un bijou d’architecture (pl. XXVIII et XXIX).
Je vous fais remarquer en passant, au pied de l’un des pignons de la façade, une petite tribune surmontée d’un toit. C’est encore une construction locale très répandue et qui m’avait intrigué au début de mes excursions. J’ai appris qu’il s’agissait tout simplement d’un abri où le crieur public, le garde-champêtre d’ordinaire, lit aux bons citoyens, le dimanche à la sortie des offices, les communications officielles ou officieuses de l’administration.
Dans l’église se voient les pierres tombales de la famille de Quekebil, vassale de la cour de Cassel et propriétaire du petit château, jolie construction du XVIIe siècle, qui existe encore sur le territoire de la commune (pl.XXX).
De même que Cassel, Watten était, du temps de César, une forteresse essentielle pour les conquêtes des Romains. Plus tard des ermites y élurent domicile et, au XIe siècle, un monastère s’y établit. On ne possède guère de documents relatifs à l’origine de la ville de Watten, qui se forma insensiblement sur les rives de l’Aa, au pied de la colline. Le couvent, d’abord occupé par des chanoines réguliers de l’ordre de St-Augustin, passe, en 1608, aux Jésuites anglais. C’est de cette époque que date la tour carrée qui couronne encore aujourd’hui la colline de Watten. Après l’expulsion des Jésuites en 1762, les bâtiments retournent à l’évêque de St-Omer, qui les démolit, à l’exception de la tour (pl. XXXI), utile comme point de repère dans la reconnaissance des côtes.
L’église actuelle (pl. XXXII), a été bâtie au XVIIe siècle ; elle n’offre rien de bien remarquable. La flèche, figurée par Sanderus, a disparu.
Bergues. — A la fin du VIIe siècle, saint Winoc, prince breton, quitte le monde pour entrer à St-Omer, à l’abbaye de St-Bertin. Il reçoit bientôt mission d’évangéliser le littoral et, avec plusieurs de ses compagnons, il se fixe au Groenberg (montagne verte). Des habitants se massèrent peu à peu au pied de la colline, ce fut l’origine de la ville de Bergues, comme, du reste, celle de beaucoup d’autres localités. Nous savons que du Groenberg saint Winoc alla fonder une maison à Wormhout, où il mourut. Ses reliques furent transportées d’abord à St-Omer, puis à Bergues, où elles sont l’objet de la vénération des fidèles de la région.
La procession qui se fait tous les ans à Bergues, le jour de la Trinité, remonte aux premiers temps de l’abbaye. Elle a été instituée en mémoire d’un miracle éclatant dû à l’intercession de saint Winoc. Un enfant tombé dans la Colme, après un long séjour sous l’eau, revint sain et sauf à la surface lorsque la châsse du saint patron eut touché les eaux. Jusqu’au siècle dernier, on avait gardé la coutume de porter en grande pompe les reliques de saint Winoc à ce infime endroit et d’immerger la boîte de plomb qui les renferme. Celte cérémonie attirait à Bergues une foule immense de pèlerins. La coutume s’est perdue, mais la procession se fait encore.
L’abbaye de Groenberg, de l’ordre de saint Benoit, fut saccagée et détruite de fond en comble à plusieurs reprises, notamment en 1558 ; la Révolution l’anéantit complètement et ne laissa debout que deux tours. Au commencement du siècle, la tour blanche s’écroula avec fracas ; on la rebâtit à cause de son utilité comme signal pour les navigateurs, et on répara en même temps la tour bleue, qui a la même destination : cette dernière était la tour la plus importante de l’abbaye (pl. XXXIII).
Le mont-de-piété (pl. XXXIV), aujourd’hui Gendarmerie nationale, comme l’indique le classique pavillon de fer-blanc qui pend tristement au-dessus de la porte, date du milieu du XVIIe siècle. Son pignon est criblé de nombreuses traces des projectiles qui l’ont frappé dans les combats et guerres civiles dont Bergues a été le théâtre.
L’hôtel de ville, du style de la Renaissance, construit en 1664, tombait en ruines : il a été entièrement reconstruit sur les plans primitifs (pl. XXXV). Tout l’hôtel est couronné d’une balustrade de petites colonnettes, séparées de distance en distance par des socles supportant des obélisques. Au centre de la galerie se voit une niche en plein cintre : on y logeait autrefois le buste du souverain régnant, elle est vide aujourd’hui. L’hôtel de ville possède des tableaux et une bibliothèque riche en manuscrits qui proviennent, pour la plupart, de l’abbaye de St-Winoc.
Le beffroi, bâti au XVIe siècle, est, avec l’hôtel de ville de Douai, le monument ancien le plus intéressant du département du Nord. C’est une construction hardie, d’origine espagnole (pl. XXXVI). L’architecte qui l’a construit ne comptait guère sur !a solidité de son œuvre, si l’on en croit la légende. L’on raconte, en effet, qu’en quittant Bergues, il se retourna continuellement, aussi longtemps qu’il fut en vue de la ville, pour s’assurer que son chef-d’œuvre était encore debout.
Plus récemment, au milieu du siècle dernier, ceux qui habitaient la partie de la place la plus voisine de l’édifice, transportèrent dans un autre domicile leurs familles et ce qu’ils avaient de précieux. Les hommes désignés pour la sonnerie se confessaient avant d’y monter et communiaient dans l’église du collège.
Jadis, la municipalité tenait ses séances dans les bâtiments situés sous le beffroi.
A Steene, nous trouvons encore un château, moins élégant et moins imposant que celui d’Esquelbecq, mais aussi bien conservé. L’architecture différente des deux principaux pignons semblerait indiquer des remaniements effectués à diverses époques (pl. XXXVII). Sanderus l’appelle non inamœnum castellum. Il est encore entoure de fossés et forme un vaste quadrilatère entourant une cour centrale et flanqué d’une tour à chacun des angles.
Du côté des jardins, il est presque entièrement masqué par des arbres, ce qui met obstacle à la reproduction photographique.
Le château de Steenbourg appartient à la famille Zylof, l’une des plus anciennes de Bergues, qui a fourni à la ville nombre de bourgmestres et de conseillers.
Hondschoote est une petite ville située sur la frontière de Belgique. Il faut un certain courage pour se risquer à l’aborder, car elle est distante de 15 kilomètres de la station de chemin de fer la plus rapprochée. Ln service d’affreuses pataches relie seul les habitants au reste du monde. On leur promet depuis longtemps, il est vrai, un chemin de fer à voie étroite, niais il est encore, je pense, à l’état de projet.
Autrefois célèbre par ses manufactures de serge, elle comptait, au commencement du XVIe siècle, plus de 20.000 habitants. Sans la célèbre victoire de 1793, son nom serait de nos jours à peu près ignoré.
Son église et son hôtel de ville existent encore tels que les figurait Sanderus.
L’église est dédiée à saint Vaast. Elle a été reconstruite à la fin du XIVe siècle. Elle est pourvue, au portail, d’une tour surmontée d’une flèche gracieuse et très élevée (pl. XXXVIII).
Sur la grand’place, près de l’église, a été inauguré il y a quelques années, à grand renfort d’orphéons, de sociétés de gymnastique et de ministres, un monument commémoratif de la bataille de 1793.
La façade de l’hôtel de ville, du style Renaissance, est moins élégante que celle du Landshuys de Cassel. Je n’ai trouvé aucune indication sur son origine (pl. XXXIX).
Dunkerque. —Saint Eloi, évêque de Noyon, légat apostolique du Saint- Siège pour les pays du Nord, vient évangéliser, au VII* siècle, les habitants des dunes, tous pécheurs et pauvres. Il les convertit en masse et bâtit une grande église qui reçut le nom de Dunekerke. Ce nom resta â la ville qui se forma plus tard au même endroit.
D’après la vue de Dunkerque, dessinée par Sanderus au XVIIe siècle, on peut juger des modifications subies par la ville depuis cette époque ; le port, sans chenal alors, est remplacé par des bassins magnifiques; les fortifications, avec leurs tourelles pittoresques, ont disparu pour faire place à d’affreux bastions recouverts d’un maigre gazon. Le beffroi est tombé. Enfin, l’église principale, du XVIe siècle, a été séparée de la tour, avec laquelle elle faisait corps, par la percée d’une rue (pl. XL), cela en 1783. On appliqua sur la surface d’amputation au péristyle corinthien qui déparait le style gothique de l’édifice. Tombant en ruines, ce péristyle, d’un anachronisme choquant, a été supprimé il y a quelques années et remplacé par une façade mieux comprise.
Dans l’église, dédiée à saint Eloi, se trouvent des pierres tombales intéressantes, parmi lesquelles je ne puis omettre de citer celle du fameux Jean Bart, le héros dunkerquois.
Sur le port s’élève une petite tour en briques, à pans coupés (pl. XLI) : C’est la tour du Leughenaer. Elle est placée exactement dans l’axe du chenal, et le phare qui la surmonte donne, pendant la nuit, une utile direction aux navires qui s’engagent dans le port. Le poste des pilotes est situé dans les bâtiments voisins. Le signal qui flottait au sommet de la tour au moment où je l’ai photographiée, indique qu’il faisait alors très mauvais temps. Les marins appellent ce signal la crinoline. On le hisse lorsqu’il y a danger pour les petits bâtiments à s’aventurer au large.
La richissime Chambre de commerce tenait aussi ses séances dans ces mêmes bâtiments. L’an dernier, elle a inauguré, près des nouveaux bassins, un palais plus en rapport avec les millions dont elle dispose.
Il ne reste pas de traces des constructions élevées par les premiers apôtres des Flandres, saint Winoc, saint Folquin, saint Éloi, etc., parce que ces constructions étaient en bois. Du moins, les anciens manuscrits qualifient-ils les fondateurs du nom de Charpentiers.
Les plus anciens monuments flamands, construits en matériaux plus solides, ne remontent pas au-delà du Xe siècle.
Comment, même à des époques plus rapprochées de nous, ces gigantesques travaux ont-ils pu être entrepris, alors que les voies de communication étaient rares et peu praticables, où il fallait apporter de loin une masse bien lourde de matériaux, où on ne connaissait guère l’usage de l’argent monnayé pour payer les frais d’extraction et de transport ?
A cette question le Dr Batissier, dans ses Éléments d’archéologie, donne une réponse satisfaisante en ce qui concerne, du moins, les monuments religieux :
« Les papes, dit-il, avaient attaché à la construction des églises, les mêmes indulgences que gagnaient les fidèles partant pour la croisade. Aussi, tous ceux qui ne pouvaient entreprendre un pèlerinage ou une expédition en Orient, s’empressèrent-ils de prêter leur concours à l’édification de ces monuments. »
Ce devait être, il faut l’avouer, un spectacle bien fait pour étonner notre sceptique XIXe siècle, que celui de centaines de manants et de bourgeois, attelés au même grossier véhicule. traînant en silence ou en récitant des psaumes, de lourdes charges de matériaux par les chemins cahoteux de la Flandre.
J’ai fini, Mesdames, Messieurs ; habitué à traiter en public de sujets beaucoup plus terre-à-terre, mon unique désir est que vous ne me gardiez pas rancune d’avoir osé aborder aujourd’hui une question absolument en dehors de ma compétence.
[1] Piers, Derode, de Smyttère, De Coussemaker, de Baecker, etc.
[2] Voir la carte archéologique de l’arrondissement de Dunkerque. — Bulletin de la Commission historique du Nord, 1862.