Un journal catholique et conservateur à Steenvoorde : Le Patriote des Flandres
Nous ne possédons maleureusement plus de collection complète de ce journal. Quelques numéros sont conservés aux Archives départementales du Nord. Quant à la collection présente à la Bibliothèque nationale, elle est en mauvais état et n’est plus communicable aux chercheurs pour l’instant. Les anciennes éditions du Houtland, qui ont publié plusieurs ouvrages en s’appuyant sur des articles parus dans le Patriote des Flandre, possédaient une collection assez complète. Nous ne savons pas ce qu’elle est advenue à notre grand regret.
Fondé en 1910 par Georges Lefever, imprimeur à Steenvoorde, Le Patriote des Flandres dont le titre complet est « Le Patriote des Flandres, journal de Steenvoorde et de l’arrondissement d’Hazebrouck », est un hebdomadaire, paraissant le samedi soir à Steenvoorde et le dimanche dans le reste de l’arrondissement d’Hazebrouck. De format 55 cm sur 39 cm, son premier numéro est daté du 4 décembre 1910. Il disparait en mai 1940 au moment de l’invasion allemande ; son dernier numéro est daté du 19 mai 1940. L’imprimerie était située rue de l’église jusqu’au 26 avril 1922, date à laquelle elle s’installe 39 place Saint-Pierre, près de la poste1. Les presses ont été achetées en Belgique – un comble pour un journal qui se dit patriote ! La distribution se fait par correspondance, chez un dépositaire2 à Steenvoorde et le dimanche à la porte de l’église Saint-Pierre.

Journal politique catholique, conservateur et nationaliste, il s’oppose dès ses premiers numéros, et ce quotidiennement jusqu’à la Grande Guerre, à l’Abbé Lemire, député d’Hazebrouck, et à son journal « le Cri des Flandres ». Il lui reproche d’avoir trahi les catholiques, de pactiser avec les ennemis de la Foi et de ne pas obéir à sa hiérarchie épiscopale. On y trouve également des diatribes anti-maçonniques et anti-juives.
Journal local, il rapporte en pages intérieures les nouvelles des communes de la Flandre : faits divers, état civil, marchés agricoles, fêtes religieuses et cérémonies patriotiques dont celles de l’Association des Poilus de la Grande Guerre. Ces informations sont une véritable source pour connaitre l’histoire de la Flandre durant la première moitié du XXe siècle. Les compte-rendus des conseils municipaux de la ville de Steenvoorde y sont également publiés. Les nouvelles nationales et internationales sont relayées brièvement dans la rubrique « La semaine » en première page. Enfin, la 4e page du journal est consacrée à la publicité majoritairement locale.
Une bonne partie des articles et des éditos proviennent de la presse catholique et conservatrice de la région (La Croix du Nord, L’Indicateur des Flandres, Le Journal de Bergues…). Ils condamnaient la politique anticléricale des gouvernements républicains successifs, souhaitaient le rétablissement des relations avec le Vatican, défendaient la liberté d’enseignement, relayaient la parole des évêques, encourageaient les initiatives comme la Jeunesse Catholique. La plupart ne sont pas signés. Georges Lefever – alias « Jean de Steenvoorde » – fervent catholique et patriote, est le principal rédacteur du journal auquel se joignent de manière occasionnelle et anonyme des conservateurs du cru comme le maire de Steenvoorde Joseph Parmentier.
Originalité de ce journal, on y retrouve dès les premiers numéros des récits en langue flamande (Vlamsche Spreuken) comme par exemple des conversations imaginées entre deux flamands, Kô Tasse et Pier Fynoore. L’abbé René Despicht, enseignant à l’Université Catholique de Lille et proche du mouvement flamand, tiendra cette rubrique à partir de 1938. On ne doit pas pour autant penser que Le Patriote des Flandres est proche du mouvement flamand. S’il regrette la circulaire du ministre de l’instruction de Monzie interdisant l’emploi du flamand dans les écoles, jugeant plutôt utile « l’usage du flamand afin de mieux faire comprendre le français aux petits flamands », il condamne toute idée de séparatisme3. Le mouvement flamingant de Belgique est avant tout perçu comme une affaire politique interne à la Belgique et voit derrière ces agissements une tentative pangermanique à combattre4.
Exemples de textes en langue flamande publiés dans le Patriote des Flandres
Au lendemain de la Grande Guerre, le tirage du Patriote des Flandres s’élève à peine 2800 exemplaires très loin des tirages de L’Indicateur et du Nord Maritime. Il fut tiré sur une seule feuille recto verso jusqu’à l’été 1919 en raison de la pénurie de papier. Il aurait une faible influence selon les rapports du Préfet du Nord5 de l’époque, se contentant de soutenir avec plus ou moins de succès les candidats conservateurs et catholiques lors des élections locales (Firmin Decanter, Emile Coudeville et Joseph Parmentier) et nationales (Henri Degroote, Jean Plichon, Charles Bergerot). Il fut un temps, entre 1919 et 1925, le journal de l’opposition au maire républicain de Steenvoorde, le docteur Eugène Ryckewaert, lui reprochant notamment son inefficacité administrative, sa gestion de l’eau désastreuse lors de la sècheresse de l’été 1921 et son sectarisme.
Un autre journal, « Le Petit Steenvoordois », que Georges Lefever qualifie « d’infect », parût à Steenvoorde chaque dimanche entre 1908 et 1914. De format 50 cm sur 33 cm, de tendance républicaine, sa sympathie alla rapidement au député de la circonscription, l’abbé Jules Lemire. On y trouvait également dans les premiers numéros des encarts en flamand. Tiré à 1300 exemplaires, Il était dirigé par Emile Hubert (1869-1945). Ce dernier a dressé en 1914 dans le Petit Steenvoordois un portrait assez acerbe du propriétaire du Patriote des Flandres, Georges Lefever :
Il y a à Steenvoorde, un certain Jean. Il a le ventre fort proéminent, c’est la conséquence de tous les jeûnes, carêmes et abstinences non observés.
Il a les yeux enflés, même pochés, c’est la résultante d’une soif toujours étanchée avec de bons vins.
Il a le crane gris et poli en partie, c’est à force de prêcher la continence et de ne pas savoir toujours l’observer.
Ce Jean, gros et boursoufflé de devant, enflé de derrière est un plat valet, un sot prétentieux et ambitieux.
Il se dit être l’oracle de Dieu, en vérité je vous le dis, c’est une outre remplie de vent, de sottises et de vanité.
Il se croit appelé ou destiné aux plus hautes fonctions laiques ou religieuses. Je crois fort qu’il risque de se crever les yeux avec le manche à balai qui est son bâton de maréchal.
Quelques mots enfin sur Georges Lefever (1883-1977) le propriétaire et rédacteur du Patriote des Flandres : il était le fils d’un menuiser-charpentier et d’une couturière de Bergues. En 1908, il épouse Zélie Agnès Camille Cappelaere (1882-1964), fille d’un maréchal-ferrant de Zegerscappel. A cette date, il est typographe au Journal de Bergues, puis travaille un temps pour Le Nord Maritime à Dunkerque6. De son union avec Zélie Cappelaere, naissent un fils, Jean, qui décèdera prématurément à l’âge de 14 ans et une fille Georgette. En 1934, il est promu officier de l’Ordre de Léopold de Belgique. Durant l’occupation allemande, Georges lefever continue son activité d’imprimeur se contentant de petites commandes de particuliers et d’entreprises. A la Libération de Steenvoorde en septembre 1944, il est brièvement arrêté en raison de ses opinions pétainistes puis reprend son activité d’imprimeur jusque dans les années 60. Sa fille, Georgette lui succède en ajoutant le commerce d’une librairie à l’activité de l’imprimerie. Georges Lefever décède à Steenvoorde le 7 septembre 1977 à l’âge de 94 ans.
Quelques unes du journal
Notes
1. Aujourd’hui, espace paroissial Georgette Lefever (soeur de Georges, qui fut membre local de l’Action catholique générale féminine).
2. Chez M. et Mme Isidore Boussekey (jusqu’en décembre 1923) puis chez Mme Marie Vanderlynden-Acket (marchande de vins sur la Grand’Place).
3. Le Patriote des Flandres – 11 octobre 1925.
4. Le Patriote des Flandres – 11 décembre 1921.
5. Archives départementales du Nord – M 149 / 142.
6. Le Patriote des Flandres – 13 février 1921.
Sources
Archives départementales du Nord
- Le Patriote des Flandres : Jx. 217 : 5-01/1913-12/07/1914 – 6/07/1919-25/12/1927
- Le Petit Steenvoordois : Jx. 218 : 3/01-26/12/1909 – 1/01-24/12/1911 – 11/01-26/07/1914
- M 149 / 142 : Etat des journaux (1929-1937)
Bibliothèque nationale
Le klockhuis d’Eecke